Comment le régime militaire d’Alger retourne ses opposants : l’exemple de Moncef Aït Kaci
Moncef Aït Kaci, ancien journaliste détenu pour son travail avec des médias étrangers, s’est aujourd’hui publiquement imposé comme un fervent partisan du régime militaire d’Alger. Sa déclaration publique sur la campagne #أنا_مع_بلادي (“Je suis avec mon pays”), qu’il affirme promouvoir l’unité nationale dans une « phase sensible », illustre un phénomène plus profond : la capacité du régime militaire à 1) retourner d’anciens opposants et 2) les utiliser pour promouvoir une propagande de réalité alternative afin de remodeler la perception publique et de contrôler la dissidence.
Capture d’écran du statut de Moncef Aït Kaci sur les médias sociaux le 20 décembre 2024
Un journaliste retourné
Aït Kaci, autrefois symbole de la résistance journalistique, a été arrêté en 2020 et détenu pour une prétendue collaboration avec des médias étrangers (France 24) sans accréditation adéquate, une accusation critiquée comme politiquement motivée par le Département d’État américain, Reporters sans frontières et de nombreuses autres organisations. Son procès, marqué par des accusations de réception de financements étrangers et d’atteinte aux intérêts nationaux, a mis en lumière la répression continue du journalisme indépendant en Algérie.
Moncef Aït Kaci, autrefois détenu par le régime militaire d’Alger, a aujourd’hui changé d’allégeance, cherchant repentance et réhabilitation auprès du même régime qui l’avait emprisonné.
Moncef Aït Kaci, autrefois détenu par le régime militaire d’Alger, a aujourd’hui changé d’allégeance, cherchant à se repentir et à se réhabiliter auprès du régime même qui l’a autrefois tenu en captivité.
Aujourd’hui, Aït Kaci s’est tourné vers les réseaux sociaux pour promouvoir le hashtag soutenu par le régime militaire #أنا_مع_بلادي (« Je suis avec mon pays »), qu’il décrit comme une initiative spontanée appelant à la solidarité et à la vigilance contre des menaces externes. Dans sa publication, il présente cette campagne comme un effort patriotique pour défendre l’unité de l’Algérie dans une « phase sensible », s’alignant ainsi sur les récits officiels du régime militaire.
Le basculement d’Aït Kaci est un exemple classique de la manière dont certains individus affichent publiquement leur loyauté au régime militaire d’Alger après des conflits avec son autorité. La repentance implique souvent l’adoption d’une rhétorique alignée sur le régime et la participation à des campagnes de propagande soutenues par l’État. Dans ce cas précis, il s’agit de protéger le régime militaire algérien des répercussions de la situation du régime syrien de Bachar el-Assad, ainsi que des fuites de documents de renseignement révélant des stratégies contre-révolutionnaires et des cadres juridiques conseillés à la Direction générale des renseignements syriens par Mohamed Médiène et Chafik Mesbah.
Le basculement d’Aït Kaci est un exemple classique de la manière dont certains individus affichent publiquement leur loyauté au régime militaire d’Alger après des conflits avec son autorité. La repentance implique souvent l’adoption d’une rhétorique alignée sur le régime et la participation à des campagnes de propagande soutenues par l’État. |
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Aït Kaci rejoint une liste croissante de journalistes, figures publiques, artistes et influenceurs qui amplifient les messages du régime après avoir fait face à des conséquences juridiques ou sociales. La participation à de telles initiatives est souvent perçue comme un passage obligé pour regagner les faveurs des autorités et rétablir une certaine légitimité publique.
Le post d’Aït Kaci sur les réseaux sociaux présente ce hashtag comme un mouvement spontané et populaire appelant à la solidarité contre des ennemis non identifiés. Pourtant, il s’agit sans aucun doute d’une campagne alignée sur la narrative gouvernementale, visant à construire une version de la réalité qui décourage la pensée critique et l’engagement politique. D’autres considèrent cette campagne comme un effort orchestré par le gouvernement pour supprimer la dissidence en canalisant le discours public vers des démonstrations patriotiques.
Se repentir pour la réhabilitation
Le cas de Moncef Aït Kaci met en lumière les dynamiques plus larges de la répression de la presse et de la soumission publique en Algérie. Le régime a régulièrement recours à des outils juridiques et administratifs, tels que le refus d’accréditation et les poursuites judiciaires, pour marginaliser les journalistes indépendants. Les démonstrations publiques de loyauté, comme celle d’Aït Kaci, surviennent souvent après des périodes de difficultés juridiques ou professionnelles, suggérant un accord tacite : le repentir en échange de la réhabilitation.
Une réalité alternative comme Propagande
La propagande algérienne fonctionne selon deux catégories distinctes. La première est le déni de réalité (aussi connue comme la propagande de la réalité-alternative), qui construit une version entièrement fabriquée de la réalité en diffusant des mensonges soigneusement élaborés pour convaincre le public d’événements qui n’ont jamais eu lieu : l’Algérie serait la troisième économie mondiale, Poutine serait l’ami de l’humanité, l’Algérie serait classée troisième dans l’indice de prospérité, la censure du Maroc des résultats de la Coupe du Monde, etc. La deuxième est la propagande dite “paralysie de la vérité” (aussi connue comme propagande de post-vérité), qui vise à encourager l’apathie et l’inaction au sein de la population. Cette stratégie de propagande cherche à persuader que la vérité est inconnaissable, décourageant ainsi toute participation au débat politique. Au lieu de débattre des faits, elle affirme simplement que personne ne peut réellement savoir ce qui s’est passé, fermant ainsi le dialogue et favorisant un désengagement généralisé. Elle peut aussi mélanger des demi-vérités et des mensonges ou des narratives soigneusement tissées pour éloigner l’opinion publique de la vérité.
Exemples de l’utilisation des deux types de propagande
En 2024, l’Algérie traverse une phase de propagande alternative, orchestrée par le régime militaire d’Alger et marquée par un déni flagrant de la réalité, similaire à des régimes comme ceux de la Corée du Nord, de Cuba ou du Venezuela. La télévision d’État diffuse des récits que les citoyens doivent accepter sans remise en question : l’Algérie serait la troisième économie mondiale, Poutine serait l’ami de l’humanité, l’Algérie serait classée troisième dans l’indice de prospérité, la censure du Maroc des résultats de la Coupe du Monde. Toute forme de pensée critique ou même de critique modérée est assimilée à de la dissidence, à une trahison ou à un acte de haute trahison, entraînant des poursuites judiciaires immédiates et des emprisonnements, atteignant ainsi deux objectifs : réduire les dissidents au silence et dissuader les autres de s’exprimer.
Entre 1992 et 1999, et durant les deuxième et troisième mandats du président Bouteflika, le pays était dominé par la propagande post-vérité, illustrée par le tristement célèbre “qui tue qui”. Cette stratégie a paralysé la pensée logique en suggérant que la vérité était inconnaissable : “Nous ne savons pas qui tue ; nous ne pouvons pas savoir ; il n’y a aucun moyen de savoir,” créant ainsi un climat de résignation et réduisant au silence le discours public. Pendant le troisième mandat de Bouteflika, cette propagande a évolué vers une nouvelle forme de manipulation, avec des médias comme Ennahar TV qui ont promu un contenu sensationnaliste centré sur la sorcellerie, la criminalité sociale et un journalisme de bas niveau et de mauvaise qualité. Cette stratégie visait à anesthésier et à engourdir la population, décourageant l’engagement critique et dissuadant toute action collective.
Les deux visages de la propagande algérienne : Le déni de réalité et la paralysie de la vérité
Cette illustration met en évidence les deux stratégies de la propagande du régime militaire algérien. Le déni de réalité : il s’agit de construire des récits fabriqués de toutes pièces pour contrôler la perception du public et faire taire les dissidents, tandis que la paralysie de la vérité : il s’agit de semer la confusion pour supprimer l’esprit critique et désengager les citoyens. Chaque type de stratégie cible des publics spécifiques par l’intermédiaire des médias, renforçant ainsi la mainmise du régime sur le pouvoir.
La publication d’Aït Kaci sur les réseaux sociaux est de la propagande de réalité alternative
La publication d’Aït Kaci sur les réseaux sociaux présente le hashtag comme une initiative spontanée et populaire appelant à la solidarité contre des ennemis non identifiés. Pourtant, ce hashtag s’aligne sur le récit du régime militaire, qui cherche à construire une version de la réalité décourageant la pensée critique et l’engagement politique.
Captures d’écran de divers contre-révolutionnaires et contre-narratifs relayés par la propagande du régime militaire d’Alger sur les médias sociaux
Le hashtag #أنا_مع_بلادي reflète une stratégie de propagande de réalité alternative, où le régime fabrique une compréhension falsifiée des événements pour influencer le public. Il ne s’agit pas de convaincre les gens d’une vérité spécifique, mais de saturer l’espace médiatique avec des messages soigneusement orchestrés qui renforcent la loyauté tout en supprimant la dissidence.
Ce type de propagande alimente le public avec des faussetés enveloppées dans une rhétorique patriotique, comme suggérer que la campagne a émergé de manière organique, alors que ses origines sont clairement liées à l’appareil de communication plus large du régime. L’objectif est de créer une réalité où remettre en question le récit ne devient pas seulement découragé, mais totalement insignifiant.
Le rôle trompeur de Moncef Aït Kaci et pourquoi il est devenu un propagandiste
La transformation de Moncef Aït Kaci, d’un journaliste défenseur de la liberté de la presse à une voix pro-régime, est un exemple typique de la manière dont les individus peuvent devenir des instruments de ces stratégies. Que ce soit par contrainte, instinct de survie ou choix personnel, sa participation apporte une crédibilité à la réalité construite par le régime. En s’alignant sur le hashtag, Aït Kaci amplifie des messages d’unité et de vigilance, renforçant subtilement l’idée que remettre en question le régime équivaut à un manque de loyauté envers la nation. Sa déclaration agit comme une chambre d’écho, une tentative plus large d’assimiler le patriotisme à la soumission au régime militaire, marginalisant encore davantage les voix dissidentes.
Moncef Aït Kaci renforce subtilement l’idée que remettre en question le régime équivaut à une trahison envers la nation. Sa déclaration fonctionne comme une chambre d’écho, promouvant une vision où le patriotisme est synonyme de conformité au régime militaire, ce qui marginalise encore plus les opinions divergentes. |
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L’effet ultime de ces techniques de propagande trompeuses est profond. En construisant une réalité alternative et en sapant le concept de vérité objective, le régime neutralise efficacement l’opposition. Les citoyens se retrouvent isolés, désorientés et impuissants face à la domination du récit imposé par le régime.
L’histoire retiendra que des individus comme Moncef Aït Kaci, Abdou Semmar (alias Ilyas Aribi), Saïd Bensdira, Mohamed Larbi Zitout, et d’autres, ont joué un rôle dans le maintien du régime militaire d’Alger. À travers des récits variés et une rhétorique adaptée, ils ciblent différents publics : Abdou Semmar (alias Ilyas Aribi) s’adresse aux Algériens francophones proactifs, Mohamed Larbi Zitout aux islamistes arabophones, et Moncef Aït Kaci à la jeunesse branchée et tendance d’Alger. Pris individuellement, chacun semble porter des valeurs, des missions et des visions contradictoires, apparemment irréconciliables, ce qui rend improbable leur alignement en un groupe cohérent. Cependant, collectivement, ils servent un même objectif : diffuser la propagande trompeuse du régime. Malgré leurs différences, ils contribuent à construire une réalité alternative destinée à renforcer la mainmise du régime militaire sur le pouvoir.
Par Abderrahmane Fares.