Algérie

Kamel Daoud visé par deux mandats d’arrêt internationaux

Le mardi 6 mai 2025, Le Figaro a confirmé l’information rapportée par Le Point, selon laquelle deux mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud par un juge du tribunal d’Oran. Le premier mandat a été émis via Interpol Algérie en mars, le second au début du mois de mai. Ces poursuites font suite à plusieurs plaintes déposées en Algérie à propos de son roman Houris, lauréat du prix Goncourt 2024.

Les autorités judiciaires algériennes s’appuient principalement sur l’article 46 de l’ordonnance n° 2006-01 du 27 février 2006, issue de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, pour poursuivre Kamel Daoud. Cet article criminalise toute évocation publique de la décennie noire susceptible de “porter atteinte aux institutions de la République, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents […] ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international”. La peine prévue va de trois à cinq ans de prison, doublée en cas de récidive, ainsi qu’une amende de 250 000 à 500 000 dinars algériens.

C’est sur cette base que le roman Houris, qui évoque les massacres de la guerre civile à travers le récit d’une survivante, a été interdit en Algérie. Par ailleurs, une seconde plainte a été déposée contre l’auteur en novembre 2024, cette fois pour atteinte présumée à la vie privée, une femme affirmant que Daoud se serait inspiré de son dossier médical sans consentement. L’écrivain conteste fermement ces allégations et affirme que Houris est une œuvre de fiction nourrie par ses enquêtes journalistiques dans les années 1990.

La combinaison de ces deux angles d’attaque – violation de la loi sur la réconciliation et atteinte à la vie privée – a servi de fondement aux deux mandats d’arrêt internationaux émis par le tribunal d’Oran, l’un transmis à Interpol Algérie en mars 2025, le second au début de mai.

L’avocate de Kamel Daoud, Me Jacqueline Laffont, dénonce une procédure motivée par des considérations politiques. Elle a annoncé le dépôt immédiat d’une requête auprès de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol pour contester ces mandats, jugés abusifs au regard de l’article 3 des statuts d’Interpol: “Il est strictement interdit à l’Organisation d’entreprendre toute intervention ou activité à caractère politique, militaire, religieux ou racial.”. Cet article, exclut d’un coup net toute intervention dans des affaires à caractère politique,

Du point de vue juridique et diplomatique, Kamel Daoud est protégé par :

  • Les procédures d’Interpol sont précisément conçues pour empêcher les abus à caractère politique. Dans le cas de Kamel Daoud, ces mandats relèvent clairement du harcèlement judiciaire, ce qui les rendra non recevables et entraînera leur suppression rapide des bases de données internationales.
  • Faire appel à la protection de la France, dont il est citoyen, et qui ne reconnaît pas la criminalisation de l’expression artistique
  • S’appuyer sur les réseaux littéraires et juridiques internationaux, en activant des ONG comme PEN International, Reporters sans frontières ou Human Rights Watch.
  • Répliquer médiatiquement en dénonçant cette tentative d’étouffer la mémoire historique et en publiant des tribunes ou témoignages sur les violences de l’État algérien.

Ces mandats d’arrêt s’inscrivent dans une stratégie de répression judiciaire ciblée contre les voix critiques du récit officiel de la décennie noire. L’utilisation de la loi sur la réconciliation nationale pour poursuivre un écrivain basé en France illustre un durcissement préoccupant de l’appareil sécuritaire algérien.

Il ne s’agit pas simplement d’un contentieux littéraire, mais d’un signal d’alerte : toute tentative de documenter ou de raconter ce passé non validé par l’État peut désormais entraîner des sanctions transnationales.

Kamel Daoud, pour sa part, reste en sécurité en France, mais l’affaire teste la solidité des protections internationales face aux usages détournés des dispositifs comme Interpol.

Abderrahmane Fares.

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