La Chine exploite Interpol pour faire taire ses détracteurs

En avril 2021, alors que l’homme d’affaires « H. » attendait une audience d’extradition à Bordeaux, en France, il a reçu un appel inattendu d’un vieil ami le milliardaire Jack Ma, cofondateur d’Alibaba. Ce dernier avait été mandaté par le gouvernement chinois pour transmettre un message : retourner en Chine et témoigner dans une affaire de corruption de grande envergure, ou rester et faire face à un procès.
Jack Ma aurait déclaré : « Si tu ne rentres pas, ils te détruiront à coup sûr. »
Ces propos ont été tenus un mois après que les autorités françaises ont arrêté « H. » sur la base d’une notice rouge d’Interpol, une alerte policière mondiale, l’accusant de blanchiment d’argent et de complicité dans un scandale de détournement de fonds.
L’affaire de « H. », documentée dans des dossiers judiciaires obtenus par l’ICIJ et ses partenaires médiatiques dans le cadre de l’enquête « Cibles de la Chine », illustre comment Pékin instrumentalise la plus grande organisation de police internationale du monde à des fins politiques.
Des stratégies d’intimidation soutenues par l’État
Ces stratégies ne se limitent pas à Interpol. La campagne mondiale menée par la Chine pour faire taire ses opposants présumés s’est également étendue à d’autres institutions internationales, y compris le siège européen de l’ONU à Genève.
L’enquête de l’ICIJ a révélé des liens dissimulés entre des dizaines d’organisations non gouvernementales dotées d’un statut consultatif à l’ONU, le gouvernement chinois et le Parti communiste. Ces groupes, soutenus par Pékin, œuvrent à étouffer les voix indépendantes et à redorer l’image de la Chine en matière de droits de l’homme, tout en surveillant les critiques du régime.
Témoignage d’une ancienne diplomate
Michelle Taylor, ancienne ambassadrice des États-Unis auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a déclaré : « C’est une entreprise de conspiration. Ce n’est pas honnête. C’est destructeur. »
Un porte-parole de l’ambassade de Chine aux États-Unis n’a pas répondu directement aux questions concernant les liens de la Chine avec les ONG à l’ONU ou l’utilisation des notices rouges d’Interpol. Il a simplement affirmé que le pays « respecte strictement le droit international et la souveraineté des autres États. »
Une complicité internationale
L’ICIJ a également constaté que les autorités de plusieurs pays, y compris des démocraties, contribuent parfois à museler les détracteurs de la Chine. Lors de sept visites du président Xi Jinping entre 2019 et 2024, les forces de l’ordre locales ont arrêté des dizaines de manifestants souvent pour des actes pacifiques, comme porter un sac à dos portant la mention « Liberté pour le Tibet. »
Reportage rédigé par Me Abdelilah Anqir