Lotfi Nezzar Rattrapé par Justice Américaine
Notre équipe d’investigation a récemment découvert un document judiciaire clé, censuré et non couvert par les médias algériens, révélant le verdict public d’un tribunal fédéral américain qui ordonne à SmartLink Communication (SLC), SPA, une entreprise algérienne de télécommunications fondée par Lotfi Nezzar, de verser 26,9 millions de dollars à la société américaine Wizara, LLC pour un contrat impayé datant de 2003.Le verdict publié le 06 Mars 2024 par le tribunal fédéral des États-Unis pour le district nord de New York condamnant l’entreprise SmartLink Communication (SLC) de Lotfi Nezzar et son associé Karim Cherfaoui, à verser la somme de 26,9 millions de dollars à la société américaine Wizara, LLC.
La United States District Court for Northern District of New York, siégeant à Syracuse, a rendu son verdict le 20 mars 2023 (l’avis ayant été déposé en mars 2024) contre SLC, SPA, une entreprise algérienne de télécommunications fondée par Lotfi Nezzar, fils de l’ancien ministre de la Défense algérien Khaled Nezzar, lui même accusé par le Ministère public de la Confédération Suisse de crimes contre l’humanité et poursuivi par le Tribunal pénal fédéral Suisse, et gérée par Karim Cherfaoui, fils d’un ancien du chiffrage militaire et proche de Mohamed Mediene. SmartLink a été condamnée à verser 26,9 millions de dollars aux sociétés américaines Wizara, LLC et CHASS, LLC, pour une dette impayée datant de 2003.
Le litige, enregistré sous la référence 5:17-CV-424 (LEK/TWD) et consultable dans sa totalité en PDF sur le site du gouvernement américain ici, repose sur une rupture de contrat en vertu de l’article 28 U.S.C. § 1332 de la constitution américaine, qui permet aux tribunaux fédéraux américains de juger des différends commerciaux internationaux dépassant 75,000 dollars.
Un Contrat Fantôme et Une Dette Colossale
En 2003, CHASS et Wizara avaient signé un contrat avec SmartLink pour fournir du matériel et des services de télécommunications en Algérie, incluant la VoIP et le haut débit sans fil. Mais alors que les prestations étaient effectuées, les paiements ne suivaient pas. SmartLink aurait accumulé une dette de 8,67 millions de dollars, que la société n’a jamais réglée.
Face aux demandes répétées de paiement, SmartLink a officiellement reconnu sa dette à deux reprises, en 2009 et 2013, par des lettres adressées aux plaignants. Dans ces courriers, l’entreprise algérienne s’engageait à payer la somme due d’ici 2015, une promesse qui ne fut jamais tenue. Avec un taux d’intérêt contractuel de 12 % par an, le montant dû a explosé au fil des ans, atteignant 26,9 millions de dollars. Malgré cela, SmartLink n’a versé que 437 094 dollars, soit à peine 5 % du total initial.
Fuite Devant la Justice Américaine
L’affaire traîne devant les tribunaux depuis 2017, mais un tournant décisif a eu lieu en 2022, lorsque les avocats de SmartLink ont subitement abandonné la défense de l’entreprise. Dans leur demande de retrait, ils invoquaient des difficultés à communiquer avec leur client et le manque de coopération de la société. Lotfi Nezzar avait tout simplement cessé de payer et de répondre à ses avocats. Le tribunal a alors donné 60 jours à SmartLink pour trouver un nouvel avocat, rappelant qu’une entreprise ne peut pas se représenter seule devant une cour fédérale américaine. SmartLink a ignoré l’injonction et a tout simplement disparu du procès. En juin 2023, face à l’absence totale de défense, le tribunal a radié la réponse de SmartLink et accordé un jugement par défaut en faveur de Wizara et CHASS.
SLC Une Affaire D’Etat Mise Sous Le Tapis en Algérie
En 2017, l’Agence de régulation des postes et télécommunications (ARPT), dirigée par Houda Feraoun et son secrétaire-général Fouad Belkessam, avait alerté Abdelmalek Sellal sur un problème majeur concernant l’opérateur Smart Link Communications (SLC), appartenant à la famille Nezzar. Selon la correspondance de l’ARPT, il avait été constaté que depuis 2006, SLC « a dévoyé » l’utilisation réglementaire des cinq canaux dans la bande des 5GHz qui lui avaient été assignés. Initialement destinés à l’exploitation d’un réseau RLAN avec des équipements sensibles, ces canaux étaient utilisés à d’autres fins pour déployer un réseau backbone, une fonction normalement réservée à un opérateur titulaire d’une licence particulière.
En d’autres termes, grâce à ce détournement des canaux 5GHz, Lotfi Nezzar (grâce à son bras technique Karim Cherfaoui) avait mis en place un réseau d’écoute et de capture de données opaque et sophistiqué, qui court-circuitait les autorités officielles. Ce système, agissant en coulisses, permettait non seulement d’accéder aux flux et au trafic internet, mais aussi de collecter des renseignements sur les communications des clients stratégiques en Algérie, tels que les ambassades, les douanes ou encore la Sonatrach. Ce réseau clandestin, dissimulé derrière une façade légale, facilitait ainsi une surveillance non autorisée et la mise en œuvre de “portes-dérobées”, rendant possible l’extraction d’informations sensibles à l’insu des autorités compétentes.Karim Cherfaoui, associé et tête pensante technique de Lotfi Nezzar, gérant de Smart Link Communications (SLC), fils d’un ancien du chiffrage militaire et proche de Mohamed Mediene. SLC a créé une porte dérobée opaque permettant l’interception clandestine des flux et la capture de données sensibles, court-circuitant les autorités officielles.
Parallèlement à ces irrégularités techniques, un différend opposait l’entreprise à l’Autorité de régulation de la poste et des communications électroniques (ARPCE). Cette dernière réclamait près de 70 millions de dinars (environ 520 000 euros) de taxes impayées, tandis que SLC soutenait que la loi l’exonérait de ces taxes. Début février 2019, le ministère des Finances donnait raison à SLC, mais en mars 2019 (durant le Hirak), l’entreprise finissait par envoyer un chèque de 38 millions de dinars. Trois semaines plus tard, l’ARPCE annonçait qu’elle ne renouvellerait pas les autorisations attribuées à SLC pour ses activités de service Internet.
Le 03 Juillet 2019 les comptes de l’entreprise sont gelés, privant ainsi les 300 employés de SLC de leurs derniers salaires, et provoquant leur licenciement massif. Mi-juillet 2019, le lien principal assurant la fourniture d’Internet, que SLC revendait à ses clients, est coupé. C’est alors que l’on découvre que parmi les clients de SLC figuraient la majorité des ambassades étrangères à Alger, la majorité des institutions publiques algériennes, dont celles aux communications sensibles telles que les douanes et divers ministères, ainsi que des entreprises majeures, telles que Sonatrach.
Fin juillet 2019, SLC dénonce dans un communiqué ce qu’il qualifie de mesure « éminemment politique ». Le 31 juillet 2019, l’ARPCE publie quant à elle un communiqué niant toute implication politique, en invoquant uniquement les taxes impayées, et appelle les clients de SLC à se manifester pour « assurer la continuité de leur activité » et « bénéficier d’une prestation de service qui répond à leurs besoins ».
En août 2019, dans un contexte de purge sans précédent menée par Ahmed Gaïd Salah, la situation prit une tournure résolument politique. Alors que Khaled Nezzar et son fils Lotfi étaient en fuite en Espagne, Khaled publia une vidéo appelant à l’insurrection et à l’assassinat d’Ahmed Gaïd Salah. Dès le mardi 6 août 2019, un mandat d’arrêt international fut émis contre Lotfi Nezzar et son père, ces derniers étant accusés par la justice militaire algérienne de complot et d’atteinte à l’ordre public.
Le Classement de l’Affaire
Le 23 décembre 2019, Ahmed Gaïd Salah décéda subitement d’un arrêt cardiaque, et, dans des circonstances pour le moins surprenantes, Khaled Nezzar et son fils revinrent à bord d’un avion présidentiel affrété par Saïd Chengriha, réhabilités et blanchis de toutes les charges qui pesaient contre eux. Quelques mois plus tard, Guermit Bounouira révéla que la mort d’Ahmed Gaïd Salah n’était pas naturelle, mais qu’il avait été assassiné par empoisonnement par Mohamed Mediene et Saïd Chengriha. Cette information fut ensuite corroborée par Toufik Bennacer, fils de l’ancien chef de la justice militaire du ministère de la Défense nationale (Larbi Bennacer, assassiné lui-même par Mohamed Mediene). Actuellement en fuite en Europe et sous mandat d’arrêt international, Toufik Bennacer dénonce la corruption au sein de la justice militaire, notamment celle de Saïd Chengriha.
Houda Feraoun, ministre des télécoms qui était la tutelle et avait une autorité sur SLC, fut condamnée et incarcérée à la maison d’arrêt de Koléa en 2021, tandis que son secrétaire général Fouad Belkessam, que nos sources désignent comme la véritable “boîte noire” de l’affaire, détenteur d’informations financières et techniques compromettantes relatives à SLC de Lotfi Nezzar, décéda dans des circonstances suspectes à l’hôpital Aïn Naâdja à l’été 2021, dans le cadre d’un contexte marqué par plusieurs morts suspectes lors du retour en force de Mohamed Mediene et de la purge de certains généraux en 2021. Ainsi, avec l’écartement ou la disparition de plusieurs détracteurs de Lotfi Nezzar, les dettes et impayés de ce dernier en Algérie, semblent désormais demeurer irrécupérables.
Si en Algérie, l’impunité et l’obstruction institutionnelle ont longtemps permis à Lotfi Nezzar de manipuler le système à son avantage, corrompre, neutraliser voire emprisonner ses opposants, de manière à dissimuler ses manquements financiers et techniques. Toutefois, la donne est tout autre aux États-Unis. Là-bas, les mécanismes juridiques, renforcés par une coopération internationale active, offrent à Wizara, LLC la possibilité de poursuivre personnellement Lotfi Nezzar et ses associés, et de saisir leurs avoirs à l’étranger. Sous la dynamique de Donald Trump et Marco Rubio, l’idée d’un fugitif, fils d’un criminel de guerre incriminé par la Confédération Suisse, qui s’enfuit avec 27 millions de dollars US, ne passera pas. Les autorités américaines disposent des moyens pour faire respecter la justice sur la scène internationale.
L’Algérie fera obstruction, mais l’Espagne et la Suisse pourraient geler les avoirs de Nezzar
Le Traité d’entraide judiciaire en matière pénale (MLAT) entre l’Algérie et les Etats-Unis, ratifié à Alger le 7 avril 2010 sous l’égide de Tayeb Belaiz et Eric H. Holder Jr., fournit un cadre juridique pour la coopération judiciaire en matière d’enquêtes criminelles, de saisies d’avoirs et d’extraditions. Cependant, son application pratique dans les cas de Lotfi Nezzar et Karim Cherfaoui a peu de chances d’aboutir. L’Algérie refuse systématiquement de reconnaître et d’exécuter les jugements étrangers, et ses accords judiciaires restrictifs, ses conditions internes et la culture d’obstruction de certains responsables militaires font que Lotfi Nezzar et Karim Cherfaoui ne seront probablement jamais remis à la juridiction américaine. L’article 3 du traité permet explicitement à l’Algérie de refuser de coopérer si le respect du traité menace sa souveraineté, sa sécurité ou ses intérêts essentiels – une clause qui pourrait être invoquée étant donné la protection de la famille Nezzar et Cherfaoui par l’establishment militaire.
Cela dit, le traité permet l’identification, la localisation et le gel des avoirs (article 18 du traité). Si les autorités américaines peuvent établir un lien entre l’argent blanchi par Nezzar ou les produits du crime et les institutions financières relevant de la juridiction des États-Unis ou de pays alliés, l’application de la loi par le biais de juridictions secondaires peut être possible. Wizara, LLC peut en outre tirer parti du traité pour localiser et identifier des actifs (article 14) et obtenir une assistance judiciaire dans le cadre d’enquêtes financières (article 2g). Une grande partie de la fortune de 300 millions d’euros de Nezzar se trouvant en Espagne et en Suisse, Wizara pourrait prendre des mesures telles que le gel des avoirs aux États-Unis en vertu des lois sur le blanchiment d’argent (via la FCPA ou la RICO) ou demander la coopération de la Suisse pour geler et confisquer les fonds illicites.
Dans ce contexte, Wizara, LLC a l’intention de poursuivre personnellement Lotfi Nezzar et Karim Cherfaoui pour recouvrer une dette de près de 27 millions de dollars, un montant qui, selon les taux de change informels (1 USD = 245 DA), équivaut à environ 661,5 milliards de centimes, soit 364,5 milliards de centimes au taux officiel (1 USD = 135 DA). Leur stratégie juridique se concentrera sur la saisie d’avoirs en dehors de l’Algérie, notamment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Suisse. En Espagne, la fortune totale de Lotfi Nezzar est estimée à 300 millions de dollars et comprend un luxueux appartement de 94,74 m² au 307 rue Muntaner à Barcelone, un terrain de 6 031 m² à Ametlla de Mar (province de Tarragone), ainsi que des comptes bancaires auprès de grandes institutions telles que Santander, BBVA, UPS, International Bank et HSBC Espagne, pour un total de près de 300 millions d’euros. En Suisse, les révélations de « Swiss Secrets » ont montré que dès février 2004, un compte du Crédit Suisse ouvert par Khaled Nezzar présentait un solde initial de 2,1 millions de francs suisses (environ 1,7 million de dollars à l’époque), dans un contexte où plus de 100 milliards de francs suisses (environ 108,5 milliards de dollars) sont détenus par 30 000 clients du Crédit Suisse impliqués dans des scandales de corruption, d’évasion fiscale, de vol ou de trafic de stupéfiants.L’entrée de l’immeuble où se situe le luxueux appartement de 94,74 m² au 307 rue Muntaner à Barcelone appartenant à Lotfi Nezzar, et qui est éligible à une procédure de saisie par la justice Américaine.
Face à ce vaste portefeuille d’actifs internationaux, la stratégie juridique de Wizara, LLC sera de s’attaquer aux actifs de Nezzar et Cherfaoui situés en dehors de l’Algérie pour récupérer, en tout ou en partie, cette dette faramineuse. L’administration de Donald Trump entendra parler de cette dette de 27 millions détenue par un fugitif algérien, et l’ambassade des États-Unis à Alger, le consulat des États-Unis à Barcelone, dirigé par la consule Lia Miller et l’attaché économique et politique José Ramírez-Rivera, ainsi que leurs homologues de l’ambassade des États-Unis à Berne, devraient soutenir ces efforts juridiques en Espagne et en Suisse.
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Abderrahmane Fares