Algérie

L’université de Chlef interdit à ses universitaires de s’exprimer dans les médias étrangers sans autorisation des services de sécurité préalable

La Faculté des sciences humaines et sociales de l’université Hassiba Ben Bouali de Chlef, en Algérie, a émis une nouvelle directive interne exigeant des enseignants du département d’histoire d’obtenir une autorisation écrite préalable avant toute prise de parole ou interview accordée à des médias étrangers. La note, datée du 8 mai 2025, insiste sur le respect des règlements institutionnels et sur la nécessité d’aligner les déclarations publiques sur les orientations officielles de l’État. Cette mesure intervient quelques jours après l’incarcération de l’universitaire Mohamed Lamine Belghit, poursuivi pour “atteinte à l’unité nationale” à la suite de propos polémiques sur l’amazighité tenus sur une chaîne émiratie.

Selon cette directive, cette mesure vise à « protéger l’image de l’institution » et à garantir la cohérence du discours académique dans le cadre des politiques nationales. Elle précise également que toute déclaration ou interview faite en dehors de ce cadre pourrait être considérée comme une violation administrative exposant son auteur à des sanctions disciplinaires.

L’administration universitaire a appelé les enseignants à respecter strictement cette procédure et à se conformer aux protocoles légaux, en particulier lors d’interactions avec des médias internationaux.

Bien que cette directive relève des prérogatives de gestion de la communication officielle, elle soulève des questions importantes sur la liberté académique et sur la capacité des chercheurs algériens à participer au débat public, notamment sur des sujets historiques ou politiques.

Dans de nombreux pays démocratiques, les institutions peuvent demander une coordination pour les prises de parole officielles, mais les restrictions liées à l’alignement avec l’État ou les sanctions pour des prises de parole non autorisées sont rares.

Par exemple, au Royaume-Uni, les professeurs des universités publiques comme Oxford ou Cambridge peuvent s’exprimer librement dans les médias, à condition de préciser qu’ils ne parlent pas au nom de l’établissement sans autorisation. À Sciences Po, en France, les enseignants interviennent régulièrement sur des sujets sensibles sans avoir à solliciter d’autorisation préalable. En Allemagne, les historiens des universités comme Humboldt ou LMU Munich publient et interviennent dans les médias internationaux sans contrainte administrative.

Exiger une autorisation préalable et menacer de sanctions, en particulier dans des domaines non sensibles comme l’histoire, brouille la frontière entre protocole institutionnel et contrôle du discours, ce qui constitue une restriction claire de la liberté académique.

Ce n’est pas la première fois que l’enseignement supérieur algérien fait l’objet de telles restrictions. En 2023, le ministère de l’Enseignement supérieur a diffusé une note nationale imposant à tous les enseignants et étudiants d’obtenir une autorisation de leur établissement avant de participer à des conférences scientifiques internationales, même à distance. Le ministère a justifié cette exigence par la crainte d’une « utilisation abusive d’opinions sorties de leur contexte » à des fins de manipulation. La mesure a suscité une vague de critiques de la part d’universitaires algériens, en Algérie comme à l’étranger, qui y voient une forme de surveillance idéologique. « Ce n’est pas la fonctionnarisation de la pensée, c’est son incarcération« , a dénoncé Ali Bensaad, maître de conférences à l’université de Provence. L’historien Amar Mohand Amer a parlé de schizophrénie institutionnelle : « D’un côté, on vante l’ouverture universitaire ; de l’autre, on impose des pratiques qui détruisent les libertés académiques« .

Abderrahmane Fares.

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