L’Égypte et la Mauritanie se retirent d’un exercice militaire en Algérie

L’Égypte et la Mauritanie se sont officiellement retirées des exercices militaires « North Africa Peace 3 » qui devaient se dérouler en Algérie du 21 au 27 mai 2025. Cette décision, motivée par l’inclusion du Front Polisario, a fait resurgir des ambiguïtés institutionnelles de longue date concernant la North African Regional Capability (NARC), l’une des cinq composantes régionales de la African Standby Force (ASF), un mécanisme sécuritaire pour le déploiement rapide en Afrique, piloté par l’Union Africaine (UA).
L’Égypte a officiellement informé les autorités algériennes de sa décision, mais n’a pas encore fait de déclaration publique. La nouvelle a été principalement diffusée par les médias marocains, qui ont présenté le retrait du Caire comme une victoire diplomatique.
Selon des responsables égyptiens, la liste finale des participants – qui inclut le Polisario, l’aile militaire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) reconnue par l’UA – représente un « changement non notifié » par rapport à l’accord initial accepté par Le Caire. L’Égypte maintient que l’inclusion du Polisario dans toute activité de sécurité de l’UA constitue une violation de son engagement envers l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc, car l’Égypte ne reconnaît PAS la RASD.
La Mauritanie, qui ne s’était pas formellement opposée à la présence du Polisario dans les accords précédents de la NARC, a maintenant discrètement suivi l’exemple de l’Égypte. Bien que Nouakchott soit restée publiquement silencieuse, cette décision est largement interprétée comme un alignement diplomatique sur le Caire et un geste de soutien aux revendications territoriales du Maroc. Bien que la Mauritanie reconnaisse toujours officiellement la RASD, cette décision marque un changement significatif, signalant le premier pas vers une reconnaissance formelle de la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Ce retrait coordonné met également en évidence le paradoxe institutionnel au cœur des mécanismes de sécurité de l’UA : comment concilier l’inclusion de l’ensemble de l’UA avec les tensions politiques non résolues entre les États membres. Il signale également un possible remaniement diplomatique en Afrique du Nord, l’Égypte et la Mauritanie affirmant des lignes rouges plus fermes sur l’intégrité territoriale du Maroc et sur la participation aux activités impliquant le Polisario.
Qu’est-ce que « North Africa Peace 3 » ?
North Africa Peace 3 est un exercice militaire organisé dans le cadre de l’UA pour rendre opérationnelle l’ASF, prévu en Algérie du 21 au 27 mai 2025. L’ASF, créée en 2003 dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), est un mécanisme de sécurité continental conçu pour permettre un déploiement rapide en réponse à des crises dans toute l’Afrique. Elle se compose de cinq forces régionales en stand-by coordonnées par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA : la NARC, la Force en attente de l’Afrique de l’Est (EASF), la Brigade en attente de l’Afrique australe (SADCBRIG), la Force en attente de la CEDEAO pour l’Afrique de l’Ouest et la Force en attente de la ECCAS pour l’Afrique centrale.
La composante nord-africaine, la NARC, a été créée en 2005 par un accord régional signé à Tripoli entre l’Algérie, l’Égypte, la Libye, la Tunisie et la RASD. Bien que la Mauritanie fasse partie du champ géographique de la région, elle a choisi de ne pas participer à l’accord à l’époque.
Dans un câble diplomatique classifié daté du 1er décembre 2005 (que vous pouvez lire dans son intégralité ici), envoyé en priorité immédiate par le bureau de liaison américain à Tripoli à la secrétaire d’État de l’époque, Condoleezza Rice, et aux principaux postes diplomatiques américains: à Alger, au Caire, à Tunis, à Rabat, à Ottawa et au Sahara occidental, ainsi qu’au commandant du Commandement européen des services de renseignement des États-Unis (USEUCOM), à Vaihingen, en Allemagne, les diplomates Gregory L. Berry (officier de liaison principal) et Ethan A. Goldrich (chef de mission adjoint) ont fait état de la création d’une brigade nord-africaine proposée sous l’égide du NARC de l’UA. Le câble a été classé « SECRET », citant comme motifs de classification les informations sur les gouvernements étrangers et les relations ou activités étrangères des États-Unis.
Le câble faisait référence à des articles de presse du 17 novembre 2005, qui annonçaient que les chefs d’état-major de l’Algérie, de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye et de la soi-disant « République du Sahara occidental » s’étaient mis d’accord pour former une force militaire conjointe. Cependant, des informations plus détaillées et plus fiables ont été obtenues plus tard, lors de réunions tenues le 29 novembre 2005 avec l’ambassade égyptienne à Tripoli et un attaché de défense régional canadien en visite en Libye. L’officier canadien, décrit dans le câble diplomatique comme « bien informé« , a confirmé qu’un accord formel avait effectivement été signé à Tripoli pour créer la force NARC. La structure prévue comprenait : deux bataillons algériens, un bataillon égyptien, un bataillon libyen, un élément de quartier général égyptien, et une unité de reconnaissance du Sahara occidental, qui, selon l’attaché de défense canadien, était dirigée par les forces militaires algériennes et manquait de capacité opérationnelle autonome. Le câble fait également état du scepticisme des responsables canadiens et égyptiens quant à la viabilité de l’initiative, et ce en 2005.
Le problème : L’adhésion de l’UA à la RASD se heurte à la non-reconnaissance bilatérale par des États membres de l’UA tels que l’Égypte et la Tunisie.
Le Front Polisario n’est pas un acteur étatique reconnu et n’est membre d’aucune organisation internationale, à l’exception de l’UA, où son entité associée, la RASD, occupe un siège depuis 1984. Son admission au sein de l’UA (à l’époque l’OUA) a été davantage motivée par des manœuvres politiques que par un consensus juridique. Aujourd’hui, plusieurs États membres de l’UA, dont l’Égypte et la Tunisie ne reconnaissent pas la RASD comme un État souverain. Cette contradiction structurelle est au cœur du fossé diplomatique actuel.
Selon les statuts réglementaires de l’UA/ASF, les activités de l’ASF sont ouvertes à tous les États membres. Par conséquent, l’Algérie a accueilli des représentants de la RASD au sein de la structure de la NARC depuis sa création en 2005. La RASD était signataire de l’accord initial de la NARC et s’est formellement engagée à fournir des observateurs militaires – bien que, dans la pratique, ces rôles aient été coordonnés par l’Algérie, le contrôle opérationnel réel étant conservé par les forces algériennes. Malgré l’inclusion formelle de l’Algérie, la coopération est restée limitée. Par exemple, l’Égypte a refusé à plusieurs reprises d’accorder des visas d’entrée aux représentants de la RASD, ce qui a obligé à déplacer les formations liées à la RASD en Algérie ou en Libye. Les activités de formation civile proposées par la RASD ont également été systématiquement rejetées.
Alors que les activités précédentes du NARC se déroulaient souvent dans la discrétion, les prochains exercices « North Africa Peace 3 » en Algérie, prévus du 21 au 27 mai 2025, marquent un changement de ton significatif. Les médias de propagande étatique algériens se préparent à une campagne tambour battant, présentant l’exercice comme un exercice militaire de haut niveau, l’événement est largement perçu comme une tentative de l’Algérie de présenter une alternative soutenue par l’UA aux exercices African Lion menés par les États-Unis, dont l’Algérie s’est notamment retirée à la dernière minute cette année. L’événement devrait faire l’objet d’une vaste couverture médiatique de la part de l’État, qui allait le considérer comme un succès diplomatique et militaire.
Des témoignages exclusifs de sources militaires ayant une connaissance directe de la structure du NARC suggèrent que sa vision initiale – une brigade nord-africaine capable de déployer rapidement des opérations de maintien de la paix coordonnées par l’UA – s’est depuis longtemps transformée en un mécanisme fictif au service d’intérêts nationaux étroits. La Libye a été le fer de lance de l’initiative sous Kadhafi, mais depuis sa chute en 2011, le NARC manque à la fois de volonté politique et de capacité opérationnelle. Les dirigeants militaires algériens ont constamment cherché à reconvertir la structure en un véhicule de légitimité pro-RASD, en exploitant les critères d’inclusion de l’ASF tout en refusant une véritable intégration ou des engagements financiers.
Par exemple, bien que l’Algérie ait promis des infrastructures telles qu’une base de formation à Roui’ba, des sources rapportent qu’elle n’est toujours pas opérationnelle. La formation de la composante civile n’a jamais eu lieu en Égypte, en raison du refus du Caire de délivrer des visas aux responsables de la RASD – un autre signal discret mais révélateur de la non-reconnaissance. Un diplomate égyptien a déclaré sans ambages que l’Algérie « utilisait le statut d’observateur de la RASD comme une échappatoire pour se donner une illusion de légitimité« . Les tentatives de blanchir la présence militaire de la RASD sous les couleurs de l’UA ne sont pas nouvelles ; la soi-disant unité de reconnaissance de la RASD était, en fait, contrôlée par des officiers algériens depuis le début.
Pas de nouvelle crise, mais une ancienne ambiguïté qui refait surface
La tension n’est pas nouvelle. L’admission de la RASD au sein de l’UA en 1984 a toujours été controversée : il s’agissait moins d’une reconnaissance juridique du statut d’État que d’un geste symbolique aligné sur les politiques de libération de l’époque de la guerre froide. Le Polisario reste un mouvement paramilitaire non étatique, armé et soutenu par l’establishment militaire algérien. Des documents internes datant de la création de la NARC en 2005, y compris des rapports communiqués aux attachés de défense étrangers, confirment que l’Algérie contrôlait effectivement l' »unité de reconnaissance » de la RASD.
Le Maroc, qui a quitté l’OUA en signe de protestation en 1984, n’a réintégré l’UA qu’en 2017, notamment pour contrer l’influence de l’Algérie et faire pression contre la présence de la RASD. Alors que le Maroc est exclu de la NARC en raison de son différend avec l’Algérie et de la question non résolue du Sahara occidental, il a plutôt cherché à s’intégrer davantage à la CEDEAO, le bloc de sécurité de l’Afrique de l’Ouest, avec le soutien de l’UE pour ses capacités de maintien de la paix.
La participation de la RASD à la NARC a toujours été fragile sur le plan diplomatique. L’Égypte et la Tunisie n’ont jamais reconnu la souveraineté de la RASD, mais ont accepté son inclusion en 2005, probablement comme une concession symbolique aux dirigeants algériens. Au fil des ans, cette contradiction a été gérée discrètement, les représentants de la RASD étant tenus à l’écart. Mais les développements récents suggèrent un changement. Le retrait de l’Égypte de l’exercice 2024 marque le passage d’un inconfort passif à un rejet actif. La Mauritanie, qui avait auparavant maintenu sa reconnaissance et sa neutralité sur la question du Sahara occidental, s’est maintenant alignée plus visiblement sur le Maroc et a évité toute interaction directe avec le Polisario, signalant ainsi un changement majeur dans sa position sur la question, voire une rétractation de sa reconnaissance.
Les événements de cette semaine ne marquent pas le début d’un nouveau conflit, mais plutôt le réveil d’une ambiguïté structurelle qui existe dans les institutions de l’UA depuis 2005. Au cœur de cette ambiguïté se trouve la tension non résolue entre la reconnaissance institutionnelle de la RASD par l’UA et l’absence de reconnaissance bilatérale par les principaux acteurs régionaux. Comment l’UA doit-elle procéder lorsque les engagements régionaux se heurtent aux lignes rouges politiques de ses propres membres ?
L’inclusion de combattants du Polisario – sous les couleurs de l’UA – dans des exercices militaires organisés par l’Algérie met cette ligne de faille en évidence. Cette situation est d’autant plus problématique que le Polisario a diffusé publiquement des déclarations vidéo menaçant d’attaquer des civils et des cibles économiques.
Le retrait de l’Égypte et de la Mauritanie est une occasion en or pour le Maroc de contester le statut de la RASD au sein de l’UA
Le double retrait de l’Egypte et de la Mauritanie de la NARC offre une ouverture stratégique au Maroc pour lancer une campagne plus large de délégitimation de la RASD au sein des institutions africaines. Cette action coordonnée peut jeter les bases d’une pression sur l’UA pour qu’elle entame des réformes institutionnelles, notamment en ce qui concerne le cadre juridique de la NARC et les critères d’éligibilité pour la participation aux structures militaires régionales lorsque la reconnaissance d’un État membre est contestée. Ce qui commence comme une clarification de procédure, à savoir si une entité reconnue par l’UA peut s’engager dans des initiatives conjointes avec des pays qui ne la reconnaissent pas diplomatiquement, pourrait se transformer en une contestation plus large de l’appartenance de la RASD à l’UA. L’UA restant la seule organisation internationale à reconnaître la RASD en tant qu’État, tout changement de consensus parmi des membres influents comme l’Égypte ou la Mauritanie pourrait catalyser un réexamen officiel de la politique. Cette trajectoire pourrait converger avec la 80ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 septembre 2025, coïncidant avec le 50ème anniversaire de la Marche Verte du Maroc, où l’adoption potentielle d’une résolution de l’ONU reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental pourrait déclencher une pression d’alignement au sein de l’UA. Que ce soit par des mécanismes de suspension ou par l’immobilisme politique, l’UA serait forcée de faire face à la contradiction, redéfinissant potentiellement ses politiques internes sur les entités contestées.
Abderrahmane Fares.