Algérie

Crimes de guerre et fosses communes : enquête sur le passé obscur du général Aït Ouarabi

La nomination du général Abdelkader Aït Ouarabi, également connu sous le nom de général “Hassan”, à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en Algérie marque un tournant stratégique dans la posture sécuritaire du pays. Officiellement, et selon la propagande, son retour serait une mesure corrective dans le contexte de la détérioration des relations avec la France et des enlèvements ratés d’Amir Boukhors et d’Hichem Aboud, une réponse aux lacunes perçues de son prédécesseur, le général Abdelkader Haddad.

Cependant, le remplacement du chef du renseignement intérieur – et non du renseignement extérieur – indique des priorités différentes. Si l’objectif du régime était de résoudre l’impasse diplomatique avec Paris, il aurait été logique de remplacer – au minimum – le général Fethi Rochdi Moussaoui, chef du DGDSE, sous le coup d’un mandat d’arrêt international et largement considéré comme responsable des échecs des opérations extérieures. Or, le gouvernement a écarté le chef du renseignement intérieur, un choix qui montre clairement une volonté de consolidation interne plutôt que d’apaisement extérieur. Ce recentrage coïncide avec deux évolutions législatives majeures : d’abord, le nouveau Code de procédure pénale, qui étend les pouvoirs de surveillance et de détention, ensuite, la loi sur la mobilisation générale, qui permet à l’exécutif d’activer les forces de sécurité et de réserve sans validation parlementaire. Ces mesures établissent un cadre juridique propice à une répression accrue et à des opérations dites “antiterroristes” sur le territoire national. Le retour du général Abdelkader Aït Ouarabi sert précisément cette stratégie, comme nous l’expliquons ci-dessous.


Le général Abdelkader Aït Ouarabi, également connu sous le nom de général Hassan

Âgé de 78 ans, le général Aït Ouarabi fut un pilier du dispositif dirigé par le général Mohamed Mediène, chef de l’ex-DRS. Il dirigea le SCORAT (Service de coordination du renseignement antiterroriste) et le GIS (Groupe d’intervention spéciale). Alors que son prédécesseur, Abdelkader Haddad, était connu pour son comportement erratique, ses décisions impulsives et son tempérament violent qui le rendaient craint et moqué dans les cercles sécuritaires, Aït Ouarabi est d’un tout autre calibre. Haddad passait pour un exécutant brutal, dénué de vision stratégique, incapable de rédiger un rapport cohérent, ne parlant pas français et usant de la violence brute comme principal levier. Hassan, lui, parle couramment le français, a été formé dans les académies militaires d’élite, et possède une expérience de terrain allant du Mali au Tchad, du Sénégal à l’Angola. Son parcours est marqué par des décennies d’opérations clandestines : infiltration de réseaux djihadistes, détournement d’armes, campagnes de déstabilisation psychologique à travers plusieurs pays. À la tête du SCORAT, il devient un maître de la guerre déniable : un opérateur rodé à la gestion de proxies, à la plausibilité négable, et à la logique ténébreuse des opérations sous faux drapeau. Sa reconduction n’est pas un simple ajustement bureaucratique, mais le retour méthodique d’un esprit stratégique pétri de contre-insurrection, de manipulation du renseignement et d’ambiguïté d’État.

Son passé opaque, fait de tractations avec des réseaux terroristes, traîne derrière lui un lourd bilan. Documents et témoignages convergent sur plusieurs opérations-clés : son rôle dans le soutien logistique du DRS aux insurgés islamistes dans le nord du Mali (2012-2013) ; le déploiement de cellules contrôlées dans le Mont Chaambi en Tunisie (2013-2014) ; et sa gestion du SCORAT et du GIS, deux unités profondément impliquées dans l’infiltration clandestine de réseaux armés, y compris l’armement des terroristes de Tiguentourine, le trafic d’armes libyen et la gestion du camp de Tamouret.

Tamouret : le camp secret d’exécutions et d’entraînement du général Abdelkader Aït Ouarabi

Le camp de Tamouret, présenté publiquement comme un centre d’entraînement d’“Al-Qaïda”, était en réalité dirigé par les services de renseignement algériens, le DRS. Situé à Oued Tamouret (ou Oued Tamrit) dans le parc national du Tassili, à moins de 400 kilomètres du complexe gazier de Tiguentourine, ce camp servait à recruter de force, endoctriner et entraîner des jeunes marginalisés pour commettre des actes violents dans des régions algériennes auxquelles ils n’avaient aucun lien. Une fois leur mission accomplie, ou en cas de désobéissance, ces recrues étaient généralement exécutées.

Oued Tamouret (zone de Oued Tamrit, coordonnées GPS ici), dans le parc du Tassili, se situe à moins de 400 km du site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, où un camp du DRS était dirigé par le général Aït Ouarabi. Certains sites d’enterrement ont été identifiés, avec des indications transmises à un contact local qui a pu localiser, exhumer partiellement et photographier des fosses peu profondes.

L’entraînement dispensé au camp comprenait des techniques de sniper et d’égorgement. Des prisonniers – officiers de l’armée, conscrits, civils, délinquants de droit commun – dont beaucoup figuraient parmi les “disparus”, furent transférés par l’armée algérienne et le DRS pour être exécutés dans le cadre des exercices. Un témoin, identifié comme “Bashir”, affirme avoir assisté à environ 180 exécutions durant ses sept mois de détention. Les corps étaient ensevelis dans des fosses peu profondes par des équipes chargées de la “gestion des cadavres”. Certaines de ces fosses ont été localisées et examinées.

Photo d’une tombe partiellement exhumée à Tamouret (zone de Oued Tamrit, voir sur la carte) : une fosse commune du DRS sous la direction du général Abdelkader Aït Ouarabi.

Les personnes impliquées dans le camp de Tamouret comprenaient Abdelhamid Abou Zaïd, qui en assurait la direction, Abdullah al-Furathi, principal instructeur, et Mokhtar Belmokhtar, responsable de la logistique, qui s’y rendait environ toutes les deux semaines. Mohamed Lamine Bouchneb, plus tard identifié comme l’un des auteurs de l’attaque du complexe gazier d’In Amenas en 2013, était fréquemment vu au camp, en compagnie de Zaïd, Belmokhtar, ainsi que de personnel militaire et du DRS. Yahia Djouadi était également un visiteur régulier. Des officiers de haut rang du DRS et de l’armée visitaient le camp presque quotidiennement. Parmi eux figuraient le général Rachid “Attafi” Lallali, alors chef de la direction du renseignement extérieur (DDSE), et le général Abdelkader Aït Ouarabi, tous deux identifiés comme ayant personnellement inspecté le site.

Au-delà de sa fonction de centre d’entraînement et d’exécution, Tamouret servait également de centre d’enregistrement, où le DRS consigna l’identité des recrues, y compris des photos et des échantillons ADN. Ces archives furent apparemment transmises à Alger et partagées avec les services de renseignement américains et britanniques. Cela expliquerait comment ces agences ont pu établir des listes de centaines, voire de milliers d’individus ensuite qualifiés d’“opérateurs d’Al-Qaïda”, et pourquoi tant d’attaques ont été médiatisées comme ayant été “déjouées”.

Des enquêteurs affirment que des crimes contre l’humanité ont été commis sur le site de Tamouret (zone de Oued Tamrit, voir sur la carte), avec la pleine connaissance – et probablement la complicité – de certains services occidentaux. L’existence du camp demeure un secret d’État jalousement gardé, nécessaire à la préservation d’intérêts conjoints entre l’Algérie et les puissances occidentales. Le camp aurait été démantelé autour de 2009 et relocalisé dans les montagnes du Tigharghar, au nord du Mali.

Tunisie, Libye, In Amenas : la main du général Aït Ouarabi derrière les opérations clandestines

En 2015, bien qu’officiellement à la retraite, le général Aït Ouarabi fut entraîné de nouveau dans la lutte de pouvoir entre le clan de Saïd Bouteflika / Ahmed Gaïd Salah et le réseau de Mohamed Mediène. Son nom revenait systématiquement à chaque fois que la crise des otages de Tiguentourine était évoquée. Cette prise d’otages, également connue sous le nom d’attaque du complexe gazier d’In Amenas, a débuté le 16 janvier 2013 et s’est soldée le 19 janvier. Au total, 39 otages étrangers ont été tués (10 Japonais, 8 Philippins, 6 Britanniques, 5 Norvégiens, 3 Américains, 2 Malaisiens, 2 Roumains, 1 Colombien, 1 Français, et 1 Algérien), ainsi que 29 terroristes. Aït Ouarabi fut arrêté, jugé en secret et condamné – non pas pour ses actes les plus graves, mais pour des délits administratifs comme « désobéissance » et « destruction de documents ». C’était sa deuxième confrontation avec la justice, la première ayant été interrompue grâce à une intervention directe des États-Unis auprès de Bouteflika et Gaïd Salah.

Cette lutte de succession révéla une série d’opérations secrètes et de crimes d’État. L’une d’elles, les opérations de Chaambi en Tunisie, débuta à la fin de l’année 2012. Ces offensives visaient des cellules jihadistes retranchées dans le massif du Jebel Chaambi, près de la frontière algérienne. Pendant la dernière phase du mandat d’Aït Ouarabi à la tête du SCORAT, jusqu’à sa « retraite » du 13 janvier 2014, les forces tunisiennes subirent plusieurs attaques à l’IED, embuscades et assassinats ciblés. Début 2014, 14 soldats et membres de la garde nationale tunisienne avaient été tués, des dizaines blessés. Les groupes armés, dont la Katibat Okba Ibn Nafaâ, opéraient depuis l’Algérie avec un soutien logistique et des convois d’armes venus de Libye. Le renseignement tunisien saisit des téléphones et cartes SIM sur la zone de Chaambi, et put les relier à des réseaux de communication du DRS, avec des numéros et pseudonymes de hauts responsables à Alger. L’armée tunisienne transmit ces éléments aux Américains, qui les redirigèrent vers l’état-major algérien, fournissant involontairement à Gaïd Salah un levier pour attaquer le DRS.

Une autre opération, cette fois en Libye, selon la version « officielle » relayée par Ilyas Aribi (alias Abdou Semmar), aurait impliqué le SCORAT dirigé par le général Aït Ouarabi dans l’interception de missiles sol-air portables (MANPADS), dans une opération secrète visant à tracer les circuits d’armes du chaos post-Kadhafi vers le Sahel. Lancée fin 2013, cette mission visait à cartographier et démanteler les filières d’approvisionnement d’AQMI et de Boko Haram. Les agents du DRS étaient infiltrés dans ces circuits, se faisant passer pour des trafiquants d’armes ou des courtiers jihadistes.

Mais le convoi du SCORAT, transportant les MANPADS sous couverture clandestine, fut intercepté par erreur par une unité régulière de l’armée algérienne à Tamanrasset, qui n’avait pas été informée. Cet incident, présenté comme une simple « mésentente » sécuritaire, fut ensuite utilisé comme base pour les accusations portées contre Aït Ouarabi. Toutefois, des enquêteurs affirment que ce récit masque une stratégie plus profonde : les armes n’avaient pas été neutralisées ni mises sous contrôle, mais réinjectées dans le circuit noir pour piéger d’autres transactions et élargir les mailles du renseignement. Cette opération brouille les frontières entre l’observation et la complicité.

On pourrait qualifier l’opération de mission héroïque : une unité d’élite intercepte des armes libyennes, infiltre des réseaux, opère sous couverture… mais dans le domaine du contre-terrorisme, des normes strictes s’appliquent. Les armes saisies doivent être détruites, sécurisées ou tracées de manière contrôlée. Les agents infiltrent pour cartographier, identifier, transmettre. Pas pour alimenter ou recycler la menace.

Dans le cas d’Aït Ouarabi, les MANPADS ont été remis en circulation sans aucun suivi. L’opération n’a pas été coordonnée avec l’armée, provoquant une quasi-friction armée à Tamanrasset. Le SCORAT n’a pas seulement infiltré des circuits – il les a animés. La frontière entre surveillance et orchestration n’a pas été franchie par erreur, elle a été effacée volontairement.

L’utilisation de missiles sol-air, la réintroduction d’armes saisies sur le marché noir, et l’infiltration de réseaux sous couvert d’agents d’État déguisés en trafiquants jihadistes ne relèvent pas du contre-terrorisme conventionnel. Il s’agit d’une doctrine de déstabilisation stratégique. Le fait que le convoi du SCORAT ait opéré sans coordination avec l’armée, que les services tunisiens aient établi des liens entre son unité et la Katibat Okba Ibn Nafaâ, et que le procès ait été gelé suite à une intervention américaine : tout cela ne témoigne pas d’un acte de bravoure, mais d’un réseau d’opérations clandestines hors de tout contrôle démocratique.

L’affaire libyenne n’était pas une exception – elle fait partie d’un schéma. Elle se rattache directement au camp de Tamouret, au siège d’In Amenas, et à la pratique systématique du DRS de manipuler des insurgés par procuration pour modeler les équilibres régionaux. Réinstaller Aït Ouarabi n’est pas une question de compétence : c’est un signal que le régime renoue pleinement avec une stratégie fondée sur l’instabilité contrôlée. Celle-là même qui a miné l’Algérie et ses voisins dans les années 2000 et 2010.

De l’accusation à l’acquittement : comment et pourquoi le procès d’Aït Ouarabi a été étouffé

Les opérations anti-terroristes troubles menées par Abdelkader Aït Ouarabi en Tunisie, en Libye et en Algérie ont toutes fini sur le bureau d’Ahmed Gaïd Salah. Le 8 février 2014, il est arrêté pour la première fois. Les chefs d’accusation, bien que non rendus publics à l’époque, incluaient des infractions extrêmement graves, voire qualifiées de “trahison”, telles que “création de groupes armés”, “rétention d’armes de guerre”, et “fausses déclarations sur les stocks d’armement”. L’accusation de “création de groupes armés” désignait la constitution clandestine de cellules terroristes et de groupes paramilitaires.

Des chefs d’inculpation techniques visaient également l’opacité dans la gestion d’armes fournies secrètement à des groupes islamistes au Mali en 2012. En parallèle, les autorités avaient rassemblé des preuves de l’implication du DRS dans le soutien au terrorisme en Tunisie, notamment des cartes SIM saisies à Chaambi, reliées à des canaux DRS sous le commandement d’Aït Ouarabi. L’armée tunisienne transmit ces preuves aux Américains, qui les remirent aux autorités algériennes, scellant ainsi le sort du général.

Cependant, cette arrestation fut perçue comme une manœuvre de Bouteflika et de Gaïd Salah pour faire tomber le général Mohamed Mediène, le tout-puissant chef du DRS, en ciblant son bras opérationnel. Ce fut le premier acte d’une guerre de succession brutale au sommet de l’État algérien, dans un contexte régional marqué par les révoltes arabes. Washington intervint directement, ne pouvant se permettre qu’un allié clé de la région implose. Le procès militaire d’Aït Ouarabi fut interrompu autour du 12-13 février 2014, et le silence retomba sur l’affaire. Plusieurs sources fiables affirment que les États-Unis sont intervenus personnellement.

De surcroît, les États-Unis ne pouvaient se permettre que les secrets des relations entre le général Abdelkader Aït Ouarabi, le DRS et des groupes terroristes tombent dans le domaine public à cause d’un conflit politique interne et revanchard. Une telle exposition aurait été considérée comme hautement préjudiciable aux intérêts stratégiques de Washington, car les services de renseignement américains et le DRS algérien coopéraient étroitement – main dans la main – depuis au moins 2002 dans le cadre de la guerre contre le terrorisme au Sahel.

Les sources soulignent que les États-Unis et l’Algérie, via le P2OG (Proactive Preemptive Operations Group), avaient dès le départ conçu des opérations de type “false-flag” dans le Sahara algérien, dans le but de justifier l’ouverture d’un nouveau front africain dans la Global War on Terror américaine. Le général Aït Ouarabi était l’intermédiaire principal et le pivot opérationnel de ces programmes.

Si les agissements d’Aït Ouarabi avaient été révélés dans un procès public retentissant – à l’image des scandales Khalifa, Sonatrach de Chekib Khelil ou les crimes de guerre attribués à Khaled Nezzar – les États-Unis auraient été perçus, comme complices des opérations “sous faux drapeau” menées par le DRS. Et du point de vue américain, le risque que ces opérations soient exposées non pas par des adversaires étrangers, mais à la suite d’une querelle intestinale entre Bouteflika, Gaïd Salah et le clan de Mohamed Mediene, était inacceptable.

Un tel dévoilement aurait inscrit cette affaire sur la liste des plus grandes controverses de l’histoire des opérations clandestines américaines, aux côtés de :

Dans tous ces cas, les États-Unis furent impliqués dans des formes de violence d’État secrète, de contournement du droit, et d’alliances avec des acteurs criminels ou répressifs au nom d’intérêts stratégiques. La comparaison avec le DRS ne souffre d’aucune ambiguïté : dévoiler l’étendue de la coopération avec Aït Ouarabi aurait non seulement compromis les relations bilatérales, mais porté un coup fatal à la crédibilité des agences de renseignement américaines et à l’architecture même du contre-terrorisme post-11 septembre.

Washington fit donc tout pour éviter cette éventualité. Il ne s’agissait plus de la culpabilité d’Aït Ouarabi, mais du risque de mettre à nu toute une infrastructure d’opérations conjointes clandestines remontant à plus d’une décennie. Une réunion aurait eu lieu au moment de sa première arrestation, au siège du DRS à Ben Aknoun à Alger, en présence d’agents américains, britanniques et algériens. Elle serait l’indice d’un arrangement visant à bloquer le procès. Résultat : aucune nouvelle publique sur le général Hassan pendant dix-huit mois. Les enquêteurs affirment qu’un accord secret fut passé entre la Présidence, le DRS et Washington pour éviter toute comparution en justice. Il fut relâché, puis réarrêté discrètement à son domicile à Chevalley (Alger) en août 2015.

Le Royaume-Uni, de son côté, s’est appliqué à ne jamais évoquer le nom du général Abdelkader Aït Ouarabi durant l’enquête publique sur l’attentat d’In Amenas.

Et pourtant, ce silence n’était pas dû à une absence de preuves. La Metropolitan Police et le MI6 avaient en leur possession les procès-verbaux d’interrogatoire de trois terroristes capturés vivants pendant la prise d’otages, et plus tard interrogés par le FBI. Tous les trois avaient clairement déclaré avoir été armés et briefés par des hommes d’Aït Ouarabi avant l’opération. Ces aveux, transmis aux autorités américaines, furent authentifiés dans le cadre des accords de partage de renseignement entre Washington et Londres.

Mais au Royaume-Uni, le gouvernement fit valoir le “Public Interest Immunity” (PII), anciennement connu sous le nom de “Crown Privilege”, qui permet aux autorités de retenir certaines preuves au nom de l’intérêt national. Cela permit de soustraire au public des éléments cruciaux sur l’attaque de Tiguentourine lors des audiences. Le motif officiel : la sécurité nationale. Le résultat réel : protéger les intérêts stratégiques britanniques, notamment ceux de BP, impliqué dans le consortium gazier, et masquer la complicité des services britanniques dans des opérations menées avec le DRS.

Le général Aït Ouarabi fut de nouveau arrêté et condamné le 27 août 2015. Ce même jour, James Clapper, alors directeur du renseignement national américain, atterrissait à Alger sans préavis. Son déplacement fut interprété comme une tentative d’urgence pour contenir les fuites et maîtriser les conséquences d’un procès potentiellement explosif.

Mais cette fois, Washington n’a pas empêché la condamnation. Il s’est contenté de négocier une dilution des charges : elles furent ramenées à de simples violations administratives – « désobéissance » et « destruction de documents classifiés ». Toutes les accusations liées au terrorisme disparurent. Le procès eut lieu à huis clos à Oran, sans presse, sans public, sans famille. La condamnation fut confirmée quatre ans plus tard par le tribunal militaire de Blida. Le général Hassan purgera sa peine jusqu’au 28 novembre 2020, avant d’être entièrement blanchi par la justice militaire en mars 2021.

Le système d’instabilité contrôlée du DRS

L’un des secrets les plus profondément ancrés dans l’appareil du renseignement algérien, sous la direction du général Mohamed Mediène et du général Abdelkader Aït Ouarabi, est l’ampleur de leur collaboration avec les services de renseignement américains et britanniques (notamment la CIA, la DIA et le MI6) dans le cadre d’opérations clandestines. Cette coopération, amorcée après les attentats du 11 septembre, impliquait un travail « main dans la main » avec le DRS, lequel menait de son côté des opérations de manipulation, d’infiltration, d’armement et de déploiement de groupes jihadistes par procuration dans les régions du Sahel et du Maghreb.

Ces opérations n’étaient pas de simples échanges de renseignements. Elles comprenaient une planification conjointe de type P2OG, où les États-Unis et l’Algérie ont délibérément fabriqué des opérations terroristes sous faux drapeau dans le Sahara algérien. Des agents du DRS organisaient ou facilitaient des attaques sous couvert d’insurrection islamiste, en utilisant des groupes dirigés ou infiltrés par le DRS lui-même, dans le but de fournir aux États-Unis une justification pour l’ouverture d’un nouveau front dans la Guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT) en Afrique, pour faire avancer les intérêts occidentaux, légitimer cette guerre et justifier la présence militaire américaine et britannique (AFRICOM, bases de drones, etc.).

Ces opérations étaient utilisées chaque fois que le DRS les jugeait stratégiquement utiles pour son propre agenda, notamment en lien avec les infrastructures énergétiques, comme en témoignent les alertes concernant les installations pétrolières et gazières. La relation avec le DRS était considérée comme une alliance essentielle dans la GWOT.

L’État britannique, à travers ses services de renseignement comme le MI6, et via ses liens avec des entreprises comme BP (partenaire du projet commun d’In Amenas), avait des intérêts significatifs dans cette relation. Le MI6 entretenait une coopération étroite avec le régime algérien et son DRS via des personnalités telles que Sir Mark Allen, homme d’affaires, ancien directeur adjoint du MI6 et chef de son unité antiterroriste, qui est devenu conseiller spécial du président de BP.

De plus, Sir John Sawers, chef du MI6 de 2009 à 2014 (et présent à Alger avec David Cameron après l’attaque d’In Amenas), a ensuite rejoint le conseil d’administration de BP en tant qu’administrateur non exécutif en mai 2015. Selon plusieurs sources, Sir John Sawers était « extrêmement bien informé des activités et du modus operandi du DRS algérien », grâce à cette collaboration de proximité pendant son mandat.

Les mêmes sources affirment que révéler publiquement le rôle du DRS — et en particulier de Aït Ouarabi — dans l’attaque d’In Amenas (notamment l’armement présumé des terroristes) aurait directement impliqué non seulement le DRS, mais aussi BP et le gouvernement britannique. Les services occidentaux travaillaient étroitement avec Hassan et le DRS depuis 2002 dans le cadre d’opérations de contre-terrorisme jugées aujourd’hui « problématiques ».

Les sources indiquent que le certificat de confidentialité PII, utilisé par le gouvernement britannique lors de l’enquête sur In Amenas, n’avait pas pour but principal la protection de la « sécurité nationale » au sens défensif du terme. Il visait plutôt à dissimuler des faits incriminants et à protéger un système de collusion et de complicité.

Parmi les raisons de ce PII figuraient l’évitement de la publication des confessions des terroristes capturés affirmant avoir été armés par les hommes du DRS/Hassan, ainsi que la non-divulgation de renseignements comme l’email transféré par Hillary Clinton et plus tard révélé par Wikileaks, faisant état d’un briefing des services français (DGSE) sur l’attaque de Tiguentourine et révélant un accord opérationnel entre le DRS et Mokhtar Belmokhtar, le « cerveau » de l’attaque.

Il s’agissait aussi vraisemblablement d’éviter que le gouvernement britannique ne soit perçu comme complice des activités controversées du DRS, notamment l’existence du camp Tamouret, géré par le DRS, où des crimes de guerre ont été commis.

Toute divulgation aurait révélé que les agences occidentales étaient parfaitement au courant du comportement opérationnel du DRS (y compris d’Abdelkader Aït Ouarabi), de leurs méthodes d’infiltration et de fabrication de groupes, et qu’elles continuaient à coopérer étroitement même après avoir eu connaissance de preuves (comme les confessions de terroristes) démontrant que ces services avaient armé ou dirigé les auteurs d’attaques meurtrières contre des citoyens occidentaux.

Selon certaines sources, les États-Unis seraient intervenus dans les luttes internes entre Saïd Bouteflika / Ahmed Gaïd Salah et Mohamed Mediène, en partie pour éviter que les secrets concernant les liens d’Aït Ouarabi avec des groupes terroristes ne deviennent publics — précisément parce que les services américains collaboraient avec lui depuis 2002, et seraient perçus comme complices.

Chantage d’État : le DRS menace de révéler les complicités occidentales dans leurs atrocités, mais 1992, 2002 ou 2012 ne sont plus 2025, le monde et les alliances ont tourné.

La réactivation de son poste en 2025, sous prétexte de restaurer l’ordre ou de gérer la crise avec la France, n’est ni un hasard ni une réhabilitation. C’est le retour calculé d’un homme qui détient l’archive complète de la terreur d’État, dont le silence est un actif stratégique, et dont le passé opérationnel n’est pas un fardeau mais une garantie.

La décision de remettre Aït Ouarabi aux commandes du DGSI est un signal : la vieille garde du DRS, pilotée par Mohamed Mediene, reprend la main. Avec des lois d’exception votées, une instabilité sociale montante et le spectre d’une mobilisation militaire sans contrôle parlementaire, le régime prépare le terrain à un nouveau cycle de répression préventive, à travers des “incidents terroristes” fabriqués, comme ceux des années 1990 et 2000.

Le message adressé aux capitales occidentales est clair : celui qui connaît tous les dossiers de la collaboration clandestine avec les services occidentaux est de retour. Toute tentative de pression ou de rupture pourrait entraîner l’ouverture des archives, celles qui prouvent l’usage conjoint de la terreur, des proxies armés, et des opérations clandestines autour des ressources énergétiques.

Ce n’est pas une désescalade. C’est une redéfinition autoritaire du contrôle intérieur. La nomination de Hassan à la tête de la DGSI n’est pas une main tendue à la diplomatie, c’est une fortification stratégique face aux menaces internes et aux révélations scandaleuses externes.

Mais ce que la gérontocratie militaire algérienne -composée de Saïd Chengriha (79 ans), Mohamed Mediene (85 ans) et Abdelkader Aït Ouarabi (78 ans)- ne comprend pas, c’est que le monde de 2025 n’est plus celui de 2002. L’administration américaine sous Donald Trump ne cherche plus à préserver l’architecture stratégique de la “guerre contre le terrorisme. Trump a déclaré la guerre à l’appareil sécuritaire américain, et aux alliances occultes qu’il a entretenues dans les décennies passées.

Les anciennes protections ont disparu. Washington, Londres, Paris ne couvriront plus éternellement les crimes du DRS. La seule chose que cette clique peut faire aujourd’hui, c’est gagner du temps jusqu’à la mort – physique ou politique – en espérant retarder la chute finale. En espérant éviter l’exposition publique des pires vérités enterrées : le DRS a tué des civils innocents, alimenté des groupes terroristes, et dissimulé des massacres dans des fosses communes clandestines à travers tout le territoire algérien.

Abderrahmane Fares ✍️

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